Une année après ce fameux été, la cigale et la fourmi souhaitaient discuter des derniers mois écoulés.
L’hiver avait été rude, comme d’habitude, et la cigale s’était rangée à ce que la fourmi lui avait demandé. C’était à ce moment la meilleure façon de pouvoir manger et d’être hébergée sans avoir à sans cesse quémander. La cigale, résignée, avait donc travaillé…devant une fourmi étonnée puis soulagée de conserver son rituel routinier. Pourtant, la fourmi ne goûtait pas ce compromis comme elle l’avait imaginé. Un arrière goût salé lui restait sur le palet. Elle se décidait donc à convoquer la cigale et allait, au nom de cette amitié si particulière, lui avouer son sentiment d’inachevé…
La cigale, de son côté, acceptait volontiers ce rendez-vous qu’elle comptait de toute façon provoquer. Bien qu’elle ait pu souper et se reposer ce qu’il fallait, elle sentait que ce n’était décidément pas sa destinée. Travailler elle y consentait mais sans plaisir ni folie, elle n’allait pas pouvoir s’y résigner. C’est donc armée de tout ce qui résonnait encore en elle, qu’elle comptait se confier à la fourmi.
Le rendez-vous fixé, nos amies se retrouvaient attablées autour d’un café. La fourmi en choisit un bien serré. La cigale, dans la foulée, commanda un café avec du lait et de la crème fouettée et se lança dans son exposé.
Cigale : merci Fourmi d’avoir proposé de discuter. Je songeais de toute façon à t’en parler. Vois-tu, j’ai beaucoup apprécié ta solidarité et je sais qu’elle t’a coûtée. Grâce à toi, j’ai été en sécurité et ma vie a certainement été sauvée. Mais toute cette activité que tu m’as demandée, je dois avouer qu’elle m’a coûtée. Je ne te fais pas un procès, ce serait insulter ta générosité. Je sais simplement que je ne pourrais pas mener cette vie dénuée d’excentricité car ce n’est pas pour cela que je suis programmée.
Fourmi : ça je le sais, il n’y a qu’à t’observer. Tu sais Cigale, mes années de labeur m’ont appris à analyser mes procédés. Pour bien connaître une personne, il suffit de la regarder avec sincérité et curiosité. L’hiver dernier, j’ai mesuré ta peine et ta volonté. Je crois en effet que besogner à mes côtés ne t’est pas destiné.
Cigale : justement fourmi, de la contrainte naît la créativité. Je crois que travailler à tes côtés peut être la clé de notre difficulté et assurer un beau succès à ton activité. Ce serait une façon pour moi de te redonner une partie de ce que tu m’as donné.
Fourmi : ….
Cigale : tu sais, à la fin de chaque corvée, j’étais tellement exténuée que je me mettais à rêver pendant la pause café. Tu sais, rêver c’est aussi une de me spécialités. J’ai beau essayer je ne peux pas me censurer, mon cerveau ne fait que tourner et retourner de tous les côtés. C’est d’ailleurs comme ça que je peux composer et chanter des histoires qui font vibrer les oreilles attentionnées.
Fourmi : j’entends Cigale, mais viens en aux faits car mon temps est compté.
Cigale : j’y viens, j’y viens. Tu as raison de t’impatienter mais tout ce temps dépensé sera récompensé. Vois-tu, je voudrais travailler à tes côtés plutôt que de chercher à t’imiter. Regarde nous, nous ne sommes pas façonnées de sorte de pouvoir s’interchanger. Il y a bien meilleure partie à tirer de ce qui justement ne fait que nous différencier. Mais ça, aucun de tes semblables ne peut te l’apporter. Cette idée qui, dans mon esprit éclairé a germé, pourrait bien tout révolutionner à condition d’être prêt à innover. Et si nous préférerions la complémentarité à l’uniformité ? Porter toutes ses charges, je n’y suis ni entraînée ni préparée. Moi, ma spécialité c’est chanter, danser, imaginer. Ce qui, tu le reconnaîtras, n’est pas dans tes possibilités. Plutôt que passer du temps à contrôler ce que je fais et à réprimander ce qui n’est pas accompli selon tes volontés, je pourrais t’encourager en chantant, rendre plus léger ton temps passé à travailler. Bien sûr, je pourrais t’aider à tout moment car j’ai bien assimilé tous ces gestes à répéter. Ce qui me permettra de laisser mes cordes se reposer car quelque soit la tâche qui nous est allouée, la répéter à l’excès finit par user. Je te promets aussi d’égayer ton temps passé à récupérer ou bien tes fins de journée voire même tes soirées. Dans cet équilibre réside une bien meilleure efficacité. Qu’en penses-tu ?
Fourmi : ton idée est sensée et je voudrais bien signer. Mais je crains que tu ne fasses que t’amuser là où nous ne ferions que travailler. Et ça, je ne peux pas le cautionner par équité avec mes coéquipiers.
Cigale : je comprends l’idée que tu te fais et je souhaite te remercier de ton honnêteté. Voilà ce que je peux t’assurer. Du début jusqu’à la fin de la journée, je serai à vos côtés pour vous accompagner sans m’arrêter. Sur mon énergie tu pourras compter et sois assurée qu’une fois le labeur terminé nous serons tous autant fatigués. Il y a fort à parier en revanche que nous ayons mieux avancé sur ce que tu projetais dans ton bilan financier, avec en plus ce sentiment de communauté qui amène la sécurité et le plaisir de vivre en société.
Fourmi : si je suis honnête, je n’ai rien à objecter. J’aimerais bien refuser mais ce ne serait que préjuger et se replier par souci de sécurité. Je me rappelle mes cours à l’université et en particuliers les étapes clés à accepter lorsqu’on souhaite innover. C’est pourquoi, je te propose une période d’essai pour expérimenter. Si ton intuition est justifiée, il nous faudra encore l’éprouver en recrutant d’autres profils plus variés. Pourquoi pas en parler à l’araignée ou même au criquet ?
Cigale : je n’osais pas aller jusqu’à cette extrémité mais je vais me laisser tenter par ton appétit à expérimenter qui est aussi inopiné qu’à encourager. Il y a encore tant à imaginer et à relier. Un monde entier à redessiner, je suis prête à parier. Et si tu veux te lancer, on pourrait certainement réinventer une partie du labeur auquel vous vous êtes habituées. On doit pouvoir innover non ?
Fourmi : si tu dis vrai, il nous faudrait monter un cabinet et devenir associées. Ces idées sont bonnes à essaimer et pourraient se démultiplier qui sait ?
Cigale : c’est un peu comme les jeux de société. Il y en a toute une variété que l’on s’interdit parfois d’utiliser. L’important pour moi n’est pas de gagner mais de savourer un moment de vie partagée.
Fourmi : tu m’apprendrais à chanter ?
Cigale : dès qu’on aura fini ce chantier, promis, on va s’en occuper !
Quelques années plus tard, la cigale et la fourmi auront accompagné des collectifs aux talents aussi variés que colorés dans leurs épopées. Elles comptent notamment parmi leurs clients Charles de Batz de Castelmore, Chris Adams, John « Hannibal » Smith et Daniel Ocean.
Leur concept s’est révélé parfaitement ajusté à la réalité. Elles ont juste osé croire à leur idée et surtout leurs identités.